Le jour de la marmotte – Côte ouest nord-américaine

Ce dernier tronçon de mon escapade « solo » ne s’est pas tout à fait déroulé comme je l’imaginais. Je me voyais sillonner les grands parcs naturels de l’Ouest américain puis les déserts et forêts du Mexique, mais ce sont finalement surtout des jungles asphaltées que j’ai arpentées, retenu un peu par la Sainte Trinité du BIM (Budget-Inertie-Météo) et surtout par la perte étourdie de ma carte de crédit conjuguée à l’incompétence sans faille de ma banque.

En fait d’escapade « solo », j’ai eu le plaisir d’être accompagné un bout de temps par mon ami Guyguy, qui m’a rejoint à Vancouver. Cette grande ville de la côte ouest canadienne nous a offert de jolies balades à pied et à vélo, y compris dans l’hypercentre (alias Downtown), où les buildings d’affaires se mêlent aux pâtés de maisons arborés et aux rues piétonnes animées. La nuit les putois maraudent le long des haies et trottoirs, comme en France les hérissons. L’ensemble est accolé au beau et grand Stanley Park, étonnamment « naturel » pour un parc urbain : de vieux arbres aux énormes troncs et un sous-bois touffu où on a le bon goût de laisser souches et arbres morts pourrir sur place au milieu des fougères ; nous y avons croisé une famille de ratons laveurs. Tout autour, les eaux du Pacifique, et non loin au nord, les montagnes des JO de 2010. A marée basse, Bernaches et Hérons se promènent sur la grève, à deux pas des joggeurs et cyclistes. Sans doute l’un des aménagements urbains les plus réussis parmi les quelques grandes villes nord-américaines que j’ai traversées durant ces quelques mois. Ça vaut ce que ça vaut mais pour info, d’après le classement Mercer 2019 sur la qualité de vie, Vancouver est 1ère pour les Amériques et 3ème à l’échelle mondiale (derrière Vienne et Zurich et à égalité avec Munich et Auckland).

De Vancouver nous avons rejoint Seattle, sa presque voisine côté Etats-Unis, elle aussi cernée par les eaux du Pacifique. Là aussi nous avons erré à pied et à vélo, de restau chinois en karaoké chinois et de brasseries en bars à bières… Oui bon on a un peu fait des étapes « à thème » mais il faut dire que le nord-ouest des Etats-Unis regorge de microbrasseries talentueuses ; les IPA sont reines mais on y trouve des bières artisanales pour tous les goûts ainsi que d’excellents cidres. La région fait également le bonheur des amateurs de cannabis – son usage récréatif est légal au Canada et dans tous les états de la côte ouest américaine – et de cuisines du monde, notamment asiatique. La relative proximité de l’Asie se fait nettement sentir, chaque grande ville ayant une importante population d’origine asiatique et son « Chinatown » bien développé.

Tandis qu’à Toulouse, une bonne partie de la population travaille de près ou de loin pour Airbus, c’est un peu pareil à Seattle avec Boeing. Dans la guerre qui oppose les deux géants de l’aéronautique, chaque victoire de l’un, annonciatrice d’emplois, fait le bonheur de ses bataillons de travailleurs au détriment du camp d’en face. J’ai songé à ces tristes batailles en sirotant ma bière en compagnie de ces sympathiques « adversaires ».

Au milieu de notre épopée urbaine, une petite parenthèse nature nous a menés sur la côte et dans le Parc National Olympic. Nous sommes d’abord allés fêter nos anniversaires sur la plage sauvage et isolée de Shi Shi, sous la tente et sous la pluie… Camping + sable + pluie = mauvais cocktail ! Qu’à cela ne tienne, anniversaire pluvieux, anniversaire heureux ! Ça n’était certes pas la carte postale annoncée mais l’ambiance en a sans doute été encore plus dépaysante : les ilots rocheux encadrant la plage qui se perdent dans la brume, les phoques qui jouent ou chassent dans les rouleaux de la mer agitée, les grandes algues échouées qui ressemblent à des tentacules de mystérieuses créatures abyssales, la laisse de mer composée de milliers de mues de crabes… Sous l’abri de fortune ingénieusement confectionné sous un cèdre par mon copain des bois, avec une bâche et quatre lacets, nous avons finalement bravé l’inconfort et fêté dignement nos 35 ans.

Une fois nos guenilles sèches, nous sommes partis à la découverte de la Hoh Rainforest, superbe forêt pluviale tempérée où les imposants conifères – principalement Douglas, Cèdres, Epicéas et Tsugas – dégoulinent de lichens. En bord de chemin, une Couleuvre rayée se love sur un coussin de mousse et des Troglodytes s’ébrouent dans les frondes de fougères. Un peu plus loin, dans la rivière, un groupe d’Arlequins plongeurs s’exerce à la natation synchronisée à contre-courant.

La dernière étape de notre duo nous a conduits à Portland, capitale de l’Orégon, où j’ai eu tôt fait d’égarer ma carte de crédit et ainsi transformé un passage de quelques jours en une attente de 25 jours, à guetter quotidiennement et en vain l’arrivée d’une nouvelle carte… Durant ce jour sans fin, j’ai eu tout loisir de contempler « le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie » dans les parcs de la ville, où j’ai régulièrement croisé des musiciens venus enrouler leurs mélodies autour des arbres. Hormis l’immense Forest Park, mon coup de cœur va au modeste mais paisible Laurelhurst Park, bel exemple de l’art portlandais du vivre-ensemble : « silentparty » sur la pelouse – casques vissés sur les oreilles, une centaine de personnes danse sous la baguette silencieuse du DJ installé sur une table de pique-nique – pendant qu’à 100 m de là on donne une représentation gratuite de Shakespeare. L’ouverture d’esprit de la ville se manifeste aussi dans des looks vestimentaires libérés, les drapeaux arc-en-ciel qui colorent les façades ou encore les « pancartes de tolérance » qui fleurissent les jardins.

Si j’ai très peu accroché au style postindustriel du centre-ville, trop urbain pour moi et où la misère humaine choque avec de nombreux drogués et campements de sans-abris, j’ai en revanche longuement déambulé dans les quartiers « hipsters » et résidentiels de l’est, particulièrement verts. Devant les maisons en bois, de beaux arbres ombragent les rues, les écureuils se régalent dans les noisetiers et aubépines ; pommes et figues jonchent des bouts de trottoirs où débordent les massifs fleuris et aromatiques des jardins ; il n’y a qu’à ouvrir la main pour emporter sur son passage quelques fragrances de menthe, romarin, lavande ou origan. Et puisque ventre plein, cœur heureux, j’ai aussi trompé l’attente en écumant les innombrables et abordables kiosques à nourriture, dégustant de délicieuses spécialités thaïlandaises, japonaises, norvégiennes, mexicaines, coréennes, hawaïennes, végétariennes, vietnamiennes et bien sûr quelques bons burgers… Au final, Portland s’est avérée une halte forcée confortable, rendue encore plus agréable par l’hospitalité et la compagnie de Nic, ami de lycée, et de sa femme Caitlyn.

Les retrouvailles colombiennes avec Audrey approchant à grands pas, j’ai dû me résoudre à partir sans ma carte, m’accordant juste une dernière étape express à San Francisco, où j’ai usé mes souliers en 8h et 23 km d’un tour d’horizon prometteur, marqué par l’ambiance de Chinatown, les percussionnistes de rue, les Lions de mer, les collines bétonnées et l’atmosphère méditerranéenne. Après ces quelques mois de pérégrination nordique, arbousiers, pistachiers, perruches et pélicans bruns ont réveillé en moi des souvenirs de Suds, transition bienvenue vers la prochaine grande étape de ce voyage : l’Amérique tropicale !

C’est ici que s’achève mon périple « solitaire » et sans avion, qui m’a mené de Berlin à San Francisco en passant par Tuktoyaktuk sur les rives de l’Océan Arctique. Environ 23 000 km parcourus dont 37% en bateau, 30% en train, 24% en voiture et 9% en bus. Il serait malhonnête de me féliciter de ces modes de transport relativement plus « écolos » que l’avion puisque celui-ci nous a amenés à Berlin et que l’on y aura bien recours pour la suite. Ma motivation était aussi de prendre un peu la mesure réelle des dimensions de la planète et de ses variations de paysages, ce que l’avion ne permet pas, nous propulsant de A à B sans transition. En trois mois, j’aurai finalement arpenté la Terre sur 155° de longitude, soit un peu moins de la moitié d’un tour complet (certes pas par l’Equateur), et 32° de latitude soit à peine plus d’un sixième du nord au sud. Je ne saurais dire si la planète m’a parue immense ou au contraire à taille humaine. Un peu des deux en fait… Mais j’ai adoré expérimenter la subtile sensation d’un exotisme diffus sans transition abrupte, contempler tant de diversité – et me réjouis de tout ce qui nous attend avec Audrey sur la suite du chemin ! – et être témoin de la migration sans frontières des oiseaux. Spéciale dédicace au Traquet motteux afro-arctique ainsi qu’à la Paruline jaune, qui égayait les buissons de Guadeloupe et que j’ai été ravi de retrouver chantant au sommet des arbres du Grand Nord Canadien !

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