Amazonie, à la croisée des frontières

Suite à notre épopée Pacifique, nous nous dirigeons vers la frontière équatorienne, faisant escales dans la jolie ville blanche de Popayán puis à San Juan de Pasto. Aux portes de l’Équateur, nous nous préparons à tourner la page colombienne et à apporter quelques denrées aux ONG aidant les Vénézuéliens qui se pressent par milliers à la frontière. Mais la situation politique et sociale équatorienne en décide autrement. Suite à un accord entre gouvernement et FMI – un bon gros chèque en échange de mesures drastiques pour assainir les finances publiques -, le prix du carburant est multiplié par deux ! déclenchant manifestations, grève des transports et blocages de routes un peu partout dans le pays. L’armée est de sortie et le président décrète l’état d’exception, qui permet, entre autres, de limiter la liberté de circulation, d’imposer des couvre-feux, de mobiliser toutes les forces de l’ordre et de censurer les médias. Par crainte de ne pouvoir être libres de nos mouvements, nous décidons de renoncer à l’Équateur et de rallier directement le Pérou par l’Amazonie.

L’esprit un peu chagrin, nous partons le 6 octobre pour l’aéroport de Pasto où un agent de l’immigration, plus zélé qu’avisé, parle d’écourter notre séjour sur le territoire colombien. Armé de son uniforme, d’un sourire condescendant et d’une pointe d’exaspération, il s’efforce de me convaincre que du 8 août au 8 octobre il y a 3 mois révolus et que nos visas arrivent donc à expiration. Gêné mais acculé, j’en suis rendu à défendre notre cas en comptant sur mes doigts. Son sourire s’évanouit et son regard cherche refuge dans un recoin de la pièce tandis que son doigt m’indique la salle d’embarquement.

Après une brève escale à Bogotá, nous volons pour Leticia, qu’aucune route ne dessert. Aux confins de l’Amazonie, à des centaines de kilomètres du réseau routier, la ville semble au bout du monde sur la carte, mais sa position est stratégique. Seule vraie agglomération colombienne sur les rives de l’Amazone, autrefois farouchement disputée par le Pérou voisin, elle est à la croisée des frontières : quelques longueurs de pirogues et nous voici sur l’île péruvienne de Santa Rosa ; 5 minutes de tuk-tuk et nos oreilles fondent sous la mélodie solaire du portugais brésilien de Tabatinga.

La chaleur y est harassante et les rues poussiéreuses mais Leticia dévoile des charmes amazoniens qu’on ne saurait bouder. Sur le canal latéral à l’Amazone, point de peupliers ni de péniches mais des pirogues en pagaille qui déchargent leur cargaison sur le dos de vaillants porteurs, certains se transformant alors en véritables hommes-bananes. Et chaque soir, aux premières fraîcheurs du crépuscule, on peut admirer depuis le clocher les dizaines de milliers de perruches, semblables à des nuées d’étourneaux, qui voltigent au-dessus des toits et saturent les rues de leurs cris assourdissants avant de s’assoupir dans les arbres de la place.

Au petit matin, Capitan Edgar nous embarque sur son frêle esquif. Une fois dépassées les cases et stations-services flottantes de l’Amazone, quelques dauphins gris et d’étonnants dauphins roses émergent furtivement des flots marron. Puis nous longeons de vastes grèves sableuses à la confluence avec le Rio Yavari sur lequel nous nous engageons. A bâbord, quelques bourgades brésiliennes, Islandia et Benjamin Constant. A tribord, des scieries péruviennes puis la jungle inondable où nous passerons les trois prochains jours. Voguant autour de nous, dragues, barges, pêcheurs au filet, une « écurie » flottante et d’élégantes ombrelles.

Je profite de ces 4 heures de paisible navigation sans roulis ni tape-cul pour piquer un somme sur l’étroite banquette molletonnée. Au réveil, une grosse averse nous confine sous la bâche en plastique bleu, à regarder les impacts de pluie sur les eaux boueuses, qui prennent une belle teinte lumineuse au retour du soleil.

Plus tard, Capitan Edgar nous emmène à la pêche aux piranhas dans un coin sans courant. Je fais mon vieux loup de mer en expliquant à Audrey qu’il faut ferrer plus sec… puis ferme mon caquet lorsqu’elle sort un premier piranha – qui s’élève glorieusement au-dessus de nos têtes dans une gerbe scintillante avant de… replonger libre de l’autre côté de la pirogue – puis un 2ème, un 3ème et un 4ème (ceux-là resteront captifs). Les poissons taquins rongent mon appât, et moi mon frein, jusqu’à ce qu’un beau piranha rouge daigne enfin mordre pour de bon, puis un second. Finalement la pêche est bonne et nous la dégustons au déjeuner.

Ragaillardis, nous nous enfonçons dans la jungle péruvienne. Miguel notre guide s’entiche du prénom d’Audrey et « Audriiiiiii » devient notre surnom à tous les deux, régulièrement brandi à gorge déployée pour amputer nos quarts d’heure toulousains. La terre que nous foulons est sèche et tapissée de feuilles mortes, mais en période de crue, les eaux monteront d’environ 6 m et la forêt sera inondée jusqu’aux mollets. Les premiers kilomètres de marche se font dans une jungle relativement préservée, au sous-bois clair obscurci par de grands et beaux arbres. Miguel nous explique que de l’écorce rouge de tel arbre on tire une teinture, que de la sève toxique de tel autre on empoisonne les flèches. Nous dominent également des Hévéas au précieux caoutchouc, des Fromagers et Capinuri aux imposants contreforts racinaires – utilisés pour la fabrication de pagaies et comme tambour-télégraphe pour communiquer à travers la jungle – et de tentaculaires figuiers étrangleurs.

Des groupes de singes font trembler les frondaisons et s’enfuient à notre approche. Plus indifférents à notre présence, deux Aras macao aux couleurs de la Colombie se régalent de fruits orange dans la canopée. Piégé par la dernière décrue, un lamantin végète seul dans un petit chenal à peine en eau ; son salut dépendra des pluies jusqu’à la prochaine crue.

A mesure que nous progressons, l’ouverture de la canopée et l’embroussaillement consécutif du sous-bois témoignent de la proximité des Hommes. Quelques arbres coupés, un campement de pêcheurs, une clairière abandonnée puis de petites plantations de maïs, yucca et courges annoncent l’arrivée au village sur pilotis de Gamboa. Ses habitants, indigènes Ticuna et agriculteurs saisonniers, redeviendront pêcheurs à la montée des eaux.

Autour du village, nous surprenons quelques paresseux alanguis le jour – dont un remontant de sa pause popo hebdomadaire sur la terre ferme – et une faune grouillante la nuit : tarentules, scorpions, araignées-scorpions, grenouilles, crapauds, salamandres, iules, moustiques… Plus loin dans une lagune, les yeux rouges de caïmans brillent dans le faisceau de nos frontales.

C’est à Puerto Nariño que nous faisons nos au revoir à la Colombie après 2 mois de bons et loyaux zigzag. La petite municipalité est réputée pour être un éden écolo. Les ruelles pavées y sont exemptes de déchets – ce qui est assez rare pour être applaudi – et de véhicules motorisés – à l’exception paraît-il d’une ambulance et d’un camion-poubelle. Après la nature grouillante et luxuriante de la jungle, elle nous paraît ici un chouilla trop tirée à 4 épingles, mais ne crachons pas dans la soupe, le cadre est agréable.

Et alors que nous sommes prompts à faire les gros yeux aux personnes qui nourrissent les animaux sauvages (sauf cas particuliers, ça n’est pas les aider), nous tombons sous le charme des aras et singes semi-domestiqués de notre auberge. Aleja, espiègle capucine, se faufile dans notre case au petit jour pour nous chiper nos effets les plus sensibles. En un tournemain, elle s’empare des lentilles de contact d’Audrey et ne tarde pas à faire main basse sur les pastilles destinées à prévenir le grossissement prématuré de nos rangs. A peine le temps de nous extirper de sous la moustiquaire qu’elle nous nargue de son précieux butin depuis les poutres de la case. Une habile diversion à base de spaghettis crus, son mets préféré, nous permettra de récupérer nos biens.

Bref, une joyeuse ambiance de ménagerie que nulle autre ne saurait mieux rendre que la Compagnie Créole – reconnaissance éternelle !

https://www.youtube.com/watch?v=m4OV8__VA-c

Bonjour, bonjour,
Je viens vous inviter.
Laissez tout tomber,
On va embarquer
Pour un pays
Qui va vous enchanter,
Vous embéguiner.
Laissez-vous tenter.

Un village paisible sur les bords de l’Amazone,
Un jardin merveilleux, pour la flore et pour la faune,
Comme dans le, {comme dans le}
Comme dans le, {comme dans le}
Comme dans le pueblo de Puerto Nariño,
Y’a des perroquets bleus et des singes à gogo,

Comme dans le pueblo de Puerto Nariño,
Y’a des oiseaux tropicaux
Qui planent au ras de l’eau, oh oh, oh oh, oh oh…

La nuit tombée,
Si vous le voulez,
On ira canoter
Faudra pagayer.
Aucun danger,
On peut se baigner :
Là-bas, les piranhas
Sont bien intentionnés.

Au clair du jour, dans la forêt qui s’éveille,
Des jolies grenouilles aux couleurs sans pareille
Comme dans le, {comme dans le}
Comme dans le, {comme dans le}

Comme dans le pueblo de Puerto Nariño,
Y’a des soleils de feu cachés dans les roseaux,
Comme dans le pueblo de Puerto Nariño,
Y’a des p’tits singes amoureux
Qui jouent les Roméo, oh oh, oh oh, oh oh…

Tou, tou, tou, {Baoum}
Tou, tou, tou, {Baoum}
Tou, tou, tou, {Baoum}
C’est un vrai paradis !

Un village paisible sur les bords de l’Amazone,
Un jardin merveilleux, pour la flore et pour la faune,
Comme dans le, {comme dans le}
Comme dans le, {comme dans le}
Comme dans le pueblo de Puerto Nariño,
Y’a des perroquets bleus et des singes à gogo,

Comme dans le pueblo de Puerto Nariño,  
Y’a des oiseaux tropicaux qui planent au ras de l’eau
Comme dans le pueblo de Puerto Nariño,
Y’a des soleils de feu cachés dans les roseaux,
Comme dans le pueblo de Puerto Narino,
La la la la la la la la la la la la la la…oh oh oh….
Vive Puerto Nariño !



2 commentaires

  1. Merci pour ce superbe récit agrémenté de photos qui nous emporte dans votre beau voyage. Bonne continuation à vous et au plaisir de vous lire. De gros gros bisous à Audrey. Hasta la proxima !

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